Voir1 ?
Fanny
Drugeon, mai 2016
Paris,
Musée du Louvre, vers 1295, après avoir dépeint la même scène à
Assise, Giotto représente pour l’église San Francesco de Pise la
stigmatisation de saint François d’Assise. Devant paysage et fond
d’or, le saint agenouillé reçoit les stigmates d’un
Christ-séraphin, irradié de lumière divine. Des rayons relient les
signes de la Passion du Christ aux marques miraculeuses du saint.
Londres,
National Gallery, 1486, Carlo Crivelli peint une Annonciation,
analysée par Daniel Arasse dans L’Annonciation
italienne. En
contrepoint d’une construction perspective complexe, le peintre
d’origine vénitienne trace un rayon lumineux, symbolisant l’Esprit
saint, qui part du ciel et traverse la colombe pour parvenir à la
Vierge Marie.
Sienne,
Duomo, Libreria Piccolomini, deuxième moitié du XVe siècle,
l’enlumineur Liberale da Verona utilise les faisceaux lumineux pour
représenter le souffle dans son Allégorie
du vent.
Houston,
Musée des beaux-arts, vers 1512, un tableau de Bernardino Fungai
renvoie plus directement à la lumière solaire. Au premier plan,
l’aimée d’Enalos, qui devait être sacrifiée à Amphitrite, est
sauvée. En arrière-plan, dissimulé derrière une montagne, le
soleil se couche. Seuls ses rayons inscrits à la feuille d’or
concrétisent l’illumination du ciel. Le dessin de Topique-soleil d’Isabelle
Daëron reprend ce principe des rayons matérialisés qui figurent
des rapports qui ne sont pas perceptibles2.
Comment
concrétiser les flux ? Les rendre visibles ? Cette
question s’est (im)posée à l’histoire de l’art. Lumière et
soleil y sont omniprésents, notamment en lien avec le religieux et
le mythologique, les rayons visibles matérialisant des rapports
invisibles. Dans des scènes privilégiées, Annonciation,
Couronnement de la Vierge, aura qui entoure les concerts des anges…,
les rayons proviennent de la colombe ou du ciel, incarnation de la
divinité.
Si
dans les Topiques,
notre attention est attirée vers des phénomènes de transformation
et des cycles naturels, l’aspect symbolique n’en est pas pour
autant oublié. Les Topiques liées à l’eau en témoignent. Dans le Dictionnaire
des symboles3,
quelles que soient les traditions, trois thèmes dominent pour
l’eau : « source de vie, moyen de purification, centre
de régénérescence. » La pluie incarne ces trois aspects. Son
pouvoir fécondant est omniprésent, de la civilisation maya, dans
laquelle un même mot désigne pluie et végétation, au mythe grec
de Danaé, métaphore agraire qui a tant inspiré les peintres.
Enfermée dans une tour par son père, le roi d’Argos, elle est
fécondée par Jupiter qui prend la forme d’une pluie d’or. On
retrouve une nouvelle fois l’incarnation divine – au sens
d’entrée dans un corps. La figuration de cette pluie d’or va de
la nuée dorée à la chute de pièces, comme c’est le cas dans la
représentation de Titien au Prado (vers 1553) ou de Klimt au tout
début du XXe siècle. Rembrandt, à l’Ermitage (entre 1636 et
1643), se concentre sur l’apparition de la lumière dorée.
Je
repense justement aux lignes qu’a consacrées René Huyghe à
Rembrandt dans Les
Puissances de l’image.
Il s’intéresse au goût de l’artiste pour les vieillards
taciturnes et à sa quête de la lumière. Il analyse la
« réversibilité de la lumière » en puisant dans la
pensée de Denis l’Aréopagite ou de saint Jean de la Croix, pour
qui le passage vers la clarté passe par la nuit. Il cite aussi le
poète hindou Chandidas : « La nuit du monde me semble le
jour, ô Amour, Et le plein jour du monde est ma nuit4. »
En
parlant de ce passage du jour dans la nuit, Isabelle Daëron évoque
d’ailleurs, à propos de Topique-lumièreet de l’inversion des cycles jour/nuit, L’Empire
des lumières,
tableau dont Magritte a réalisé une vingtaine de variations entre
1949 et 1964. Peu après la première, il écrit d’ailleurs :
« Cette évocation du jour et de la nuit me semble douée du
pouvoir de nous surprendre et de nous enchanter. J’appelle ce
pouvoir : la poésie. » Ce passionné de lumière n’hésite
pas à faire coexister des réalités pour les rendre mystérieuse,
troubler ce que l’œil perçoit et ce que l’esprit croit qu’il
devrait percevoir. Toutes les variations de la série reposent sur
cette dualité jour-nuit, leur inversion ou leur concomittance.
Représenter
le temps, cette « imitation de l'éternité » dont parle
saint Augustin, est également une des questions centrales de l’art.
Cette question est aussi liée à celle du positionnement de l’homme.
C’est bien la conclusion de Borges dans son essai Nouvelle
réfutation du temps :
« Le temps est un feu qui me dévore, mais je suis le feu. »
Dans Topique-soleil,
le corps humain inscrit dans un cadran solaire analemmatique permet
de saisir le mouvement du temps, il y contribue de manière active,
une mesure de la durée déterminée par l’humain, par son action.
Topique-soleildéplace l’obsession moderne de la mesure du temps vers une
observation de phénomènes naturels, la première horloge étant
solaire. On est invité à contempler un reflet. Dans l’Épître
aux Corinthiens,
Saint Paul parlait justement de cette vision mystérieuse de la
réalité : « Nous voyons tout pour l’instant à travers
un miroir, de façon énigmatique […]5. »
La contemplation, l’arrêt, le regard vers un miroir, autant
d’éléments également présents dans les natures mortes ou
vanités, si prisées au XVIIe
siècle.
L’objet
se fait symbolique, la matérialisation est nécessaire, mais il faut
qu’elle reste intelligible, par exemple une pluie visible, une eau
visible. Comme représenter ce flux et l’expliciter ? Les
tuyaux ou certains éléments de Topique-cielou de Topique-eau
des Cimes sont
bleus. Une couleur très évocatrice, Michel Pastoureau nous
expliquant que, si l’eau n’est pas bleue, ses représentations le
sont depuis le XVe
siècle. C’est à cette époque tout au moins que le basculement a
commencé, l’eau était auparavant verte6.
À quelques exceptions près - la couleur verte est par exemple
employée pour les tuyaux d’eau du Centre Pompidou, le bleu étant
les tuyaux d’air, nous respectons toujours cette symbolique.
Les
objets de Topique-eau
non potable nous
entraînent également dans l’histoire de l’art. Chantant quand
on la remplit, pleurant quand on la vide, la chantepleure redessinée
par Isabelle Daëron ouvre un dialogue avec l’iconographie du
jardin. Présente depuis le Moyen Âge, elle répond à celle
qu’utilise par exemple Marie de Clèves dans la tapisserie Charles
d'Orléans et Marie de Clèves(vers 1460-1465), conservée au musée des Arts décoratifs, à
Paris. Dans cette scène galante, aux côtés du prince poète, la
mère du futur Louis XII arrose des fleurs avec cet instrument
autrefois familier, aujourd’hui oublié. Finalement demeure l’objet
et sa survivance, même si elle n’est qu’iconographique, celui
que Ponge décrivait ainsi : « L’homme est un drôle de
corps, qui n’a pas son centre de gravité en lui-même. Notre âme
est transitive. Il lui faut un objet, qui l’affecte, comme son
complément direct, aussitôt7. »
1 Ce titre renvoie au controversé Carlos Castaneda et à sa
découverte, suite à la prise de peyotl, de la luminosité des
corps, dont j’ai lu la première description dans Voir.
Les Enseignements d'un sorcier yaqui (Gallimard,
« Folio Essais », 1985).
2 Cette question de la visualisation des rayons est présente dans
l’approche réticulaire de Frédéric Forest dans l’ouvrage tiré
de sa thèse, Freud
et la Science : éléments d'épistomologie(Paris, Economica/Anthropos, 2010).
Cette approche
croisée fait sens si l’on pense à l’une des définitions du
mot topique, comme conception de lieux psychiques de Freud.
3 Jean Chevalier, Alain Gherbrant, Dictionnaire
des symboles,
Paris, Robert Laffont / Jupiter, 1982.
4 Cité dans René Huyghe, Les
puissances de l’image,
Paris Flammarion, 1965, p. 158.
5 Corinthiens 13:12.
6 Michel Pastoureau, Dictionnaire
des couleurs de notre temps,
éditions Bonneton, 1992, et Bleu.
Histoire d’une couleur,
Paris, Seuil, 2014.
7 Francis Ponge, L’objet
c’est la poétique,
L’Atelier contemporain. Paris: Gallimard, 1977, p.221.
Voir1 ?
Fanny
Drugeon, mai 2016
Paris,
Musée du Louvre, vers 1295, après avoir dépeint la même scène à
Assise, Giotto représente pour l’église San Francesco de Pise la
stigmatisation de saint François d’Assise. Devant paysage et fond
d’or, le saint agenouillé reçoit les stigmates d’un
Christ-séraphin, irradié de lumière divine. Des rayons relient les
signes de la Passion du Christ aux marques miraculeuses du saint.
Londres,
National Gallery, 1486, Carlo Crivelli peint une Annonciation,
analysée par Daniel Arasse dans L’Annonciation
italienne. En
contrepoint d’une construction perspective complexe, le peintre
d’origine vénitienne trace un rayon lumineux, symbolisant l’Esprit
saint, qui part du ciel et traverse la colombe pour parvenir à la
Vierge Marie.
Sienne,
Duomo, Libreria Piccolomini, deuxième moitié du XVe siècle,
l’enlumineur Liberale da Verona utilise les faisceaux lumineux pour
représenter le souffle dans son Allégorie
du vent.
Houston,
Musée des beaux-arts, vers 1512, un tableau de Bernardino Fungai
renvoie plus directement à la lumière solaire. Au premier plan,
l’aimée d’Enalos, qui devait être sacrifiée à Amphitrite, est
sauvée. En arrière-plan, dissimulé derrière une montagne, le
soleil se couche. Seuls ses rayons inscrits à la feuille d’or
concrétisent l’illumination du ciel. Le dessin de Topique-soleil d’Isabelle
Daëron reprend ce principe des rayons matérialisés qui figurent
des rapports qui ne sont pas perceptibles2.
Comment
concrétiser les flux ? Les rendre visibles ? Cette
question s’est (im)posée à l’histoire de l’art. Lumière et
soleil y sont omniprésents, notamment en lien avec le religieux et
le mythologique, les rayons visibles matérialisant des rapports
invisibles. Dans des scènes privilégiées, Annonciation,
Couronnement de la Vierge, aura qui entoure les concerts des anges…,
les rayons proviennent de la colombe ou du ciel, incarnation de la
divinité.
Si
dans les Topiques,
notre attention est attirée vers des phénomènes de transformation
et des cycles naturels, l’aspect symbolique n’en est pas pour
autant oublié. Les Topiques liées à l’eau en témoignent. Dans le Dictionnaire
des symboles3,
quelles que soient les traditions, trois thèmes dominent pour
l’eau : « source de vie, moyen de purification, centre
de régénérescence. » La pluie incarne ces trois aspects. Son
pouvoir fécondant est omniprésent, de la civilisation maya, dans
laquelle un même mot désigne pluie et végétation, au mythe grec
de Danaé, métaphore agraire qui a tant inspiré les peintres.
Enfermée dans une tour par son père, le roi d’Argos, elle est
fécondée par Jupiter qui prend la forme d’une pluie d’or. On
retrouve une nouvelle fois l’incarnation divine – au sens
d’entrée dans un corps. La figuration de cette pluie d’or va de
la nuée dorée à la chute de pièces, comme c’est le cas dans la
représentation de Titien au Prado (vers 1553) ou de Klimt au tout
début du XXe siècle. Rembrandt, à l’Ermitage (entre 1636 et
1643), se concentre sur l’apparition de la lumière dorée.
Je
repense justement aux lignes qu’a consacrées René Huyghe à
Rembrandt dans Les
Puissances de l’image.
Il s’intéresse au goût de l’artiste pour les vieillards
taciturnes et à sa quête de la lumière. Il analyse la
« réversibilité de la lumière » en puisant dans la
pensée de Denis l’Aréopagite ou de saint Jean de la Croix, pour
qui le passage vers la clarté passe par la nuit. Il cite aussi le
poète hindou Chandidas : « La nuit du monde me semble le
jour, ô Amour, Et le plein jour du monde est ma nuit4. »
En
parlant de ce passage du jour dans la nuit, Isabelle Daëron évoque
d’ailleurs, à propos de Topique-lumièreet de l’inversion des cycles jour/nuit, L’Empire
des lumières,
tableau dont Magritte a réalisé une vingtaine de variations entre
1949 et 1964. Peu après la première, il écrit d’ailleurs :
« Cette évocation du jour et de la nuit me semble douée du
pouvoir de nous surprendre et de nous enchanter. J’appelle ce
pouvoir : la poésie. » Ce passionné de lumière n’hésite
pas à faire coexister des réalités pour les rendre mystérieuse,
troubler ce que l’œil perçoit et ce que l’esprit croit qu’il
devrait percevoir. Toutes les variations de la série reposent sur
cette dualité jour-nuit, leur inversion ou leur concomittance.
Représenter le temps, cette « imitation de l'éternité » dont parle saint Augustin, est également une des questions centrales de l’art. Cette question est aussi liée à celle du positionnement de l’homme. C’est bien la conclusion de Borges dans son essai Nouvelle réfutation du temps : « Le temps est un feu qui me dévore, mais je suis le feu. » Dans Topique-soleil, le corps humain inscrit dans un cadran solaire analemmatique permet de saisir le mouvement du temps, il y contribue de manière active, une mesure de la durée déterminée par l’humain, par son action.
Topique-soleildéplace l’obsession moderne de la mesure du temps vers une observation de phénomènes naturels, la première horloge étant solaire. On est invité à contempler un reflet. Dans l’Épître aux Corinthiens, Saint Paul parlait justement de cette vision mystérieuse de la réalité : « Nous voyons tout pour l’instant à travers un miroir, de façon énigmatique […]5. » La contemplation, l’arrêt, le regard vers un miroir, autant d’éléments également présents dans les natures mortes ou vanités, si prisées au XVIIe siècle.
L’objet se fait symbolique, la matérialisation est nécessaire, mais il faut qu’elle reste intelligible, par exemple une pluie visible, une eau visible. Comme représenter ce flux et l’expliciter ? Les tuyaux ou certains éléments de Topique-cielou de Topique-eau des Cimes sont bleus. Une couleur très évocatrice, Michel Pastoureau nous expliquant que, si l’eau n’est pas bleue, ses représentations le sont depuis le XVe siècle. C’est à cette époque tout au moins que le basculement a commencé, l’eau était auparavant verte6. À quelques exceptions près - la couleur verte est par exemple employée pour les tuyaux d’eau du Centre Pompidou, le bleu étant les tuyaux d’air, nous respectons toujours cette symbolique.
Les objets de Topique-eau non potable nous entraînent également dans l’histoire de l’art. Chantant quand on la remplit, pleurant quand on la vide, la chantepleure redessinée par Isabelle Daëron ouvre un dialogue avec l’iconographie du jardin. Présente depuis le Moyen Âge, elle répond à celle qu’utilise par exemple Marie de Clèves dans la tapisserie Charles d'Orléans et Marie de Clèves(vers 1460-1465), conservée au musée des Arts décoratifs, à Paris. Dans cette scène galante, aux côtés du prince poète, la mère du futur Louis XII arrose des fleurs avec cet instrument autrefois familier, aujourd’hui oublié. Finalement demeure l’objet et sa survivance, même si elle n’est qu’iconographique, celui que Ponge décrivait ainsi : « L’homme est un drôle de corps, qui n’a pas son centre de gravité en lui-même. Notre âme est transitive. Il lui faut un objet, qui l’affecte, comme son complément direct, aussitôt7. »
1 Ce titre renvoie au controversé Carlos Castaneda et à sa découverte, suite à la prise de peyotl, de la luminosité des corps, dont j’ai lu la première description dans Voir. Les Enseignements d'un sorcier yaqui (Gallimard, « Folio Essais », 1985).
2 Cette question de la visualisation des rayons est présente dans l’approche réticulaire de Frédéric Forest dans l’ouvrage tiré de sa thèse, Freud et la Science : éléments d'épistomologie(Paris, Economica/Anthropos, 2010). Cette approche croisée fait sens si l’on pense à l’une des définitions du mot topique, comme conception de lieux psychiques de Freud.
3 Jean Chevalier, Alain Gherbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 1982.
4 Cité dans René Huyghe, Les puissances de l’image, Paris Flammarion, 1965, p. 158.
5 Corinthiens 13:12.
6 Michel Pastoureau, Dictionnaire des couleurs de notre temps, éditions Bonneton, 1992, et Bleu. Histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2014.
7 Francis Ponge, L’objet c’est la poétique, L’Atelier contemporain. Paris: Gallimard, 1977, p.221.
Représenter le temps, cette « imitation de l'éternité » dont parle saint Augustin, est également une des questions centrales de l’art. Cette question est aussi liée à celle du positionnement de l’homme. C’est bien la conclusion de Borges dans son essai Nouvelle réfutation du temps : « Le temps est un feu qui me dévore, mais je suis le feu. » Dans Topique-soleil, le corps humain inscrit dans un cadran solaire analemmatique permet de saisir le mouvement du temps, il y contribue de manière active, une mesure de la durée déterminée par l’humain, par son action.
Topique-soleildéplace l’obsession moderne de la mesure du temps vers une observation de phénomènes naturels, la première horloge étant solaire. On est invité à contempler un reflet. Dans l’Épître aux Corinthiens, Saint Paul parlait justement de cette vision mystérieuse de la réalité : « Nous voyons tout pour l’instant à travers un miroir, de façon énigmatique […]5. » La contemplation, l’arrêt, le regard vers un miroir, autant d’éléments également présents dans les natures mortes ou vanités, si prisées au XVIIe siècle.
L’objet se fait symbolique, la matérialisation est nécessaire, mais il faut qu’elle reste intelligible, par exemple une pluie visible, une eau visible. Comme représenter ce flux et l’expliciter ? Les tuyaux ou certains éléments de Topique-cielou de Topique-eau des Cimes sont bleus. Une couleur très évocatrice, Michel Pastoureau nous expliquant que, si l’eau n’est pas bleue, ses représentations le sont depuis le XVe siècle. C’est à cette époque tout au moins que le basculement a commencé, l’eau était auparavant verte6. À quelques exceptions près - la couleur verte est par exemple employée pour les tuyaux d’eau du Centre Pompidou, le bleu étant les tuyaux d’air, nous respectons toujours cette symbolique.
Les objets de Topique-eau non potable nous entraînent également dans l’histoire de l’art. Chantant quand on la remplit, pleurant quand on la vide, la chantepleure redessinée par Isabelle Daëron ouvre un dialogue avec l’iconographie du jardin. Présente depuis le Moyen Âge, elle répond à celle qu’utilise par exemple Marie de Clèves dans la tapisserie Charles d'Orléans et Marie de Clèves(vers 1460-1465), conservée au musée des Arts décoratifs, à Paris. Dans cette scène galante, aux côtés du prince poète, la mère du futur Louis XII arrose des fleurs avec cet instrument autrefois familier, aujourd’hui oublié. Finalement demeure l’objet et sa survivance, même si elle n’est qu’iconographique, celui que Ponge décrivait ainsi : « L’homme est un drôle de corps, qui n’a pas son centre de gravité en lui-même. Notre âme est transitive. Il lui faut un objet, qui l’affecte, comme son complément direct, aussitôt7. »
1 Ce titre renvoie au controversé Carlos Castaneda et à sa découverte, suite à la prise de peyotl, de la luminosité des corps, dont j’ai lu la première description dans Voir. Les Enseignements d'un sorcier yaqui (Gallimard, « Folio Essais », 1985).
2 Cette question de la visualisation des rayons est présente dans l’approche réticulaire de Frédéric Forest dans l’ouvrage tiré de sa thèse, Freud et la Science : éléments d'épistomologie(Paris, Economica/Anthropos, 2010). Cette approche croisée fait sens si l’on pense à l’une des définitions du mot topique, comme conception de lieux psychiques de Freud.
3 Jean Chevalier, Alain Gherbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 1982.
4 Cité dans René Huyghe, Les puissances de l’image, Paris Flammarion, 1965, p. 158.
5 Corinthiens 13:12.
6 Michel Pastoureau, Dictionnaire des couleurs de notre temps, éditions Bonneton, 1992, et Bleu. Histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2014.
7 Francis Ponge, L’objet c’est la poétique, L’Atelier contemporain. Paris: Gallimard, 1977, p.221.